Depuis plus de quarante ans, la coopérative Axuria s’est enracinée en Soule, au pied des montagnes, là où les bêtes paissent entre ciel et crêtes. Mais en octobre dernier, lors d’une assemblée générale extraordinaire, ses membres ont décidé de sortir du bercail : désormais, l’ensemble du département des Pyrénées-Atlantiques entre dans le périmètre reconnu de la coopérative. Une petite révolution dans un monde où les circuits sont courts, mais les racines longues.
Car Axuria n’est pas une entreprise comme les autres. Née en 1983, dans ce coin du Pays basque où les traditions pastorales se transmettent de générations en générations, la coopérative s’est bâtie autour d’un modèle familial, humain, et fondé sur la qualité. Ici, on ne parle pas en tonnes, mais en bêtes bien nourries, en pâtures respectées, en relations de confiance. Pourtant, même les structures les plus solides peuvent fléchir si le sol sous leurs pieds vient à se dérober.
Racines souletines, ambitions départementales
Historiquement centrée sur la Soule, Axuria rassemble aujourd’hui entre 270 et 300 éleveurs, répartis à parts égales entre filières bovine et ovine. Tous partagent une vision commune : défendre une agriculture locale, respectueuse du rythme des bêtes et des saisons. Une viande produite ici, vendue ici, et dégustée ici, que cela soit dans les cantines, chez les bouchers ou encore dans les restaurants.
Mais l’érosion démographique n’épargne pas la Soule. L’été précédent, une enquête est venue confirmer ce que la coopérative pressentait depuis un moment. En effet, selon Battita Baqué, directeur d’Axuria, la moitié des éleveurs souletins a désormais plus de 50 ans, et une large part d’entre eux ne prévoit pas de transmettre ou de poursuivre leur activité. Le constat est sans appel... La relève peine à émerger, les exploitations ferment les unes après les autres, et les vaches se font plus rares dans les prés.
À cela s’ajoute une pression sanitaire inédite. À la fin de l’année 2024, treize foyers de tuberculose bovine ont été détectés dans le secteur. De là, ont découlé des mesures strictes, parfois controversées, qui ont conduit à une décapitalisation contrainte des cheptels. Le tout dans un climat d’incertitude économique croissante. Face à cette situation, Battita Baqué reconnaît que le choix d’ouvrir la coopérative à l’ensemble du département s’est imposé presque naturellement. Il fallait, selon lui, réagir sans tarder, sous peine de voir s’effondrer tout un modèle.
Pour rester fidèle à ses principes, Axuria s’appuie sur une filière intégrée et des partenaires engagés. Aurélie Bracot, éleveuse au Gaec Elhar à Moncayolle, fait partie de ces piliers. Depuis cinq ans, elle collabore avec Axuria, engraissant ses bêtes à partir du fourrage et des céréales produits sur son exploitation. Elle considère que la qualité se cultive d’abord dans les champs, là où tout commence.
Fabien Chatain, artisan boucher installé à Ustaritz, partage également cette vision. Pour lui, tout repose sur le local. Il estime que son métier consiste à mettre en valeur ce que les éleveurs ont mis des mois à construire. Sur son étal, il affiche avec fierté le label Herriko Haragia, gage d’origine et de bonnes pratiques. Et il en est convaincu, sans passion, il est impossible de tenir dans ce métier. Une passion contagieuse, qui se transmet de la ferme à l’assiette.
Le goût du terroir… et de la transmission
Ce modèle vertueux s’appuie aussi sur des infrastructures pensées à taille humaine comme l’abattoir de Mauléon, l’atelier de découpe de Chéraute ouvert en 2018, les process de traçabilité rigoureux… Et surtout, sur une logique de circuit court assumée. Selon Battita Baqué, les produits doivent rester accessibles aux consommateurs, sans pour autant rogner sur les revenus des éleveurs. Il considère cet équilibre comme délicat, mais essentiel à préserver.
Côté chiffre d’affaires, la coopérative tient la barre avec 9,2 millions d’euros en 2023, 9,3 millions en 2024. Mais ces chiffres ne suffisent pas à garantir l’avenir. Pour continuer à peser dans la balance locale, Axuria doit s'étoffer.
Outre la baisse du nombre d’éleveurs, les évolutions réglementaires, les attentes sociétales sur le bien-être animal, ou encore les fluctuations du coût des matières premières, tout cela pèse lourd. « Il faut être capable d’évoluer, sans se trahir », glisse Alain Lasserre, président d’Axuria. Et cette évolution passe aujourd’hui par l’ouverture.
L’annonce d’avril 2025 a donc officialisé une réalité déjà en germe, à savoir que de nombreux éleveurs du département travaillaient déjà avec Axuria, mais sans pouvoir y adhérer formellement. Désormais, la porte leur est grande ouverte.
Étendre pour mieux préserver
Avec cette extension à tout le département, la coopérative espère renforcer son maillage, mutualiser ses savoir-faire, et assurer la relève. D'autant que l’ouverture ne concerne pas que les bovins. En effet, l’agneau de lait des Pyrénées, fleuron de la filière ovine, est aussi au cœur de l’aventure Axuria. Et pour cause, il s’agit du seul agneau français à bénéficier à la fois d’un Label Rouge et d’une IGP.
Ainsi, cette extension territoriale n’est pas un changement d’ADN, mais un appel à la solidarité agricole. En invitant d’autres éleveurs à rejoindre le troupeau, Axuria lance un message fort, à savoir, préserver le modèle basque d’élevage passe par l’union, par-delà les vallées. Chaque nouvelle adhésion est une graine plantée pour l’avenir.
Et l’avenir, Axuria le veut fertile. Car derrière chaque bête bien élevée, il y a une famille, une montagne, une histoire. Et une coopérative qui, en ouvrant ses bras, continue à porter haut la bannière d’une agriculture enracinée, mais pas figée.
Dans un monde où l’agriculture se voit parfois dénigrée ou mise sous pression, Axuria trace son sillon avec constance. Elle ne cherche pas à grossir pour grossir, mais à renforcer un écosystème où chacun, de l’éleveur au boucher, a sa place. Où la qualité prime sur le rendement. Où l’on cultive les liens autant que les prairies.
Sébastien Soumagnas
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