Produire la vie, ce n’est pas seulement fabriquer des objets neufs. C’est aussi apprendre à faire durer ceux qui existent déjà. À Hendaye, dans un bâtiment discret de 1 200 m², des machines trient, scannent, démontent, séparent, analysent. Ici, pas de lignes de couture ni de défilés de mode, mais un enjeu fondamental : transformer les vêtements et les chaussures en fin de vie en nouvelles ressources industrielles.
Bienvenue au CETIA, le Centre d’Innovation pour le Tri et le Démantèlement Automatisés des articles textiles et cuir. Un centre unique en Europe, né en 2021, qui s’inscrit pleinement dans la thématique de la rubrique « Ici, on produit la vie », à savoir produire localement, innover concrètement, structurer des emplois de production et préparer l’avenir économique du territoire.
« Le CETIA est avant tout un centre d’innovation. Sa mission consiste à développer des technologies qui facilitent le recyclage des vêtements et des chaussures en fin de vie », résume sa directrice, Chloé Salmon Legagneur.
Recycler commence par comprendre
Contrairement aux idées reçues, recycler un vêtement ne va pas de soi. Une fois collecté, il a souvent perdu son étiquette. Impossible alors de savoir précisément de quelles matières il est composé, comment il a été assemblé, ou s’il peut être recyclé. « Aujourd’hui, dans les centres de tri, ces opérations restent très majoritairement manuelles et orientées vers la revente ou le don. Le vrai enjeu, c’est le sur-tri par matière. Et là, sans technologie, on est bloqués », explique la directrice.
C’est précisément là que le CETIA intervient. Grâce à la robotique, à la vision assistée par ordinateur, à l’intelligence artificielle et à des capteurs de pointe, le centre développe des solutions capables d’identifier, trier, démanteler et préparer les textiles pour leur recyclage industriel.
Créé par l’école d’ingénieurs ESTIA, la CCI Bayonne Pays Basque et le CETI, le CETIA est aujourd’hui le premier centre européen entièrement dédié au tri et au démantèlement automatisés des textiles et des chaussures. « Dès 2019, en réfléchissant à l’avenir de la mode et à la circularité, nous avons décidé de créer ce centre. Il existe un équivalent à Hong Kong pour l’Asie, mais en Europe, nous sommes les seuls », souligne Chloé Salmon Legagneur.
Un choix d’implantation fort, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine, qui inscrit Hendaye et le Pays Basque sur la carte internationale de l’innovation textile. « De grandes marques internationales viennent ici, à Hendaye, pour voir nos technologies. Cela participe clairement au rayonnement du territoire. »
Un écosystème industriel au service de la circularité
Le CETIA ne travaille pas seul. Autour de lui gravite tout un écosystème : Decathlon, Eram, Petit Bateau, Zalando, mais aussi des acteurs de la collecte, du tri et du recyclage. « Nous sommes un agrégateur de solutions. Dès qu’une solution intéressante émerge, caméra, capteur, robot, machine nous la testons, nous la comparons, nous voyons comment elle peut s’intégrer dans un système global », explique la directrice.
Ici, pas de concurrence frontale, mais une logique de coopération industrielle. « Il n’existe pas une technologie universelle. Tout dépend des flux entrants, de la complexité des vêtements, des exutoires visés. Notre rôle est d’avoir une vision d’ensemble. »
Produire la vie, c’est aussi préparer les emplois de demain. Si le CETIA n’est pas une usine au sens classique du terme, il participe à l’émergence de nouveaux métiers industriels. « On voit apparaître des opérateurs capables de piloter des machines de tri automatisées, de contrôler leur fonctionnement, d’analyser les données, de corriger les erreurs », détaille Chloé Salmon Legagneur.
Des compétences hybrides, à la croisée de l’industrie, du numérique et de l’écologie, appelées à se développer à mesure que la filière se structure.
Des boucles locales pour produire autrement
L’ambition du CETIA ne s’arrête pas aux murs du centre. À travers des projets européens comme Interreg - POCTEFA, l’équipe travaille à créer des boucles locales de recyclage, en lien avec des partenaires du Pays Basque sud. « L’idée, c’est de préparer les textiles ici et de leur redonner une nouvelle vie localement, plutôt que d’envoyer les flux vers de grands centres européens », explique la directrice. Une logique de proximité, créatrice de valeur et de résilience territoriale.
Le CETIA travaille aussi avec des entreprises du territoire, comme DIECO à Urrugne, spécialisée dans les revêtements de sols pour aires de jeux. « Ils intègrent déjà des semelles issues de chutes de production. Nous étudions avec eux la possibilité d’utiliser des semelles issues de chaussures usagées démantelées ici », raconte Chloé Salmon Legagneur. Même à petite échelle, ces expérimentations montrent la voie. « Même si cela ne représente que 2 ou 3 % de leur matière première, l’impact peut être intéressant. »
Au fond, le CETIA pose une question simple mais essentielle : comment continuer à produire sans épuiser les ressources ? « Le coton consomme énormément d’eau. Demain, avec le changement climatique, il faudra peut-être arbitrer entre produire de la nourriture ou des fibres textiles », alerte la directrice. Recycler devient alors un acte de production à part entière. « Trier et démanteler, c’est permettre aux vêtements d’avoir une seconde vie et éviter l’enfouissement ou l’incinération. »
En quatre ans, avec une équipe de sept personnes, le CETIA s’est imposé comme un maillon clé d’une filière en train de naître. Une filière encore fragile, mais porteuse d’emplois, de savoir-faire et de souveraineté industrielle. « Ici, on montre que la circularité peut devenir un levier de réinvention territoriale », conclut Chloé Salmon Legagneur.
Sébastien Soumagnas
ICI, on produit la vie
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Un défi majeur à relever ensemble…
Plus nombreux qu’on ne le pense, ceux qui produisent au Pays Basque montrent la voie. On pense souvent à quelques fleurons industriels, à des grands groupes, mais une multitude de femmes et d’hommes font partie de l’aventure production, avec des structures de toutes tailles. Les petits ruisseaux font les grandes rivières.
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